La tornade Ségolène (L'Express)

Publié le par Philippe Bidalon

Le souci permanent de son image et l'autoritarisme de ses décisions irritent ses propres amis politiques, alors que les conflits avec ses vice-présidents révèlent le malaise de l'institution régionale… Mais, forte de sa popularité, la Zapatera du Poitou maintient le cap qu'elle s'est fixé.
La Laguna glisse doucement vers l'établissement régional d'enseignement adapté (Erea) Anne-Frank, à Mignaloux-Beauvoir, dans la banlieue de Poitiers. Massés devant la grille d'entrée, élèves, éducateurs, professeurs et proviseur patientent sagement. Tous attendent Mme la présidente du conseil régional. La bonne fée apporte des chèques «permis de conduire» aux six premiers bénéficiaires de cette nouvelle aide, accordée par l'assemblée qu'elle dirige: 1 200 euros pour les jeunes ayant obtenu un CAP dans un métier «difficile» (bâtiment, hôtellerie, restauration), qu'elle entend réhabiliter de la sorte.

Discours du directeur, réponse de la star locale, qui regrette au passage «la suppression du service national, bien pratique pour apprendre à conduire» et dénonce «la discrimination sociale qui résulte du coût trop élevé de cet examen». La nostalgie de la fille de colonel d'artillerie laisse vite la place à la députée socialiste... En aparté, elle savoure d'avoir devancé et dépassé le projet du gouvernement - six jours plus tard, Dominique Perben annoncera le lancement du «permis à 1 euro par jour», un prêt bonifié pour les 16-25 ans. Sous les yeux ronds des jeunes et les flashs de la PQR, la mise en scène est parfaite: remise de la médaille de la région au proviseur de l'établissement, présentation des six impétrants et photos de groupe avec un énorme chèque factice, derrière lequel la menue Ségolène Royal pourrait presque disparaître. Pas grave… sa signature est suffisamment ostentatoire pour que les lecteurs de la presse locale ne s'y trompent pas.

«On a l'impression de travailler davantage pour l'image de Ségolène Royal
qu'en faveur des habitants de la région»

Cet épisode anodin résume assez bien le malaise qui saisit l'assemblée régionale depuis mars 2004. La présidente travaille-t-elle plus pour son image que pour celle de Poitou-Charentes? La question en taraude plus d'un du côté de la rue de l'Ancienne-Comédie, à Poitiers, siège de la Maison de la région. Curieusement, c'est dans son propre camp - et dans les services de l'institution régionale - que les ressentiments se révèlent les plus forts. Il est vrai que, assommée par la défaite, la droite locale a mis du temps à remonter sur le ring. Les critiques les plus acerbes proviennent donc des partis de la majorité - PS, PC, Verts - dont certains conseillers s'irritent des méthodes de Mme Royal. «Autoritaire, cassante, méprisante, menteuse, démagogue, populiste…»: les camarades ont la dent dure. Souvent off, bien sûr, car chacun est soucieux de ne pas envenimer des relations déjà difficiles, voire exécrables, avec la présidente de la région. Ils regrettent le manque de collégialité et de transparence des décisions. Il faut dire que la culture du PS et des Verts se nourrit de débats et de votes multiples.

«Elle n'écoute pas, court-circuite tout le monde», se plaint une élue (PS), agacée de voir surgir en commission permanente des propositions concernant son domaine de compétence sans en avoir été avertie préalablement. «On aimerait que la "démocratie participative" [chère à la présidente] s'applique aussi au sein du conseil», remarque Marie Legrand, vice-présidente chargée de l'environnement (Verts), qui discerne toutefois des «avancées». D'autres, moins indulgents, s'inquiètent de la personnalisation du pouvoir et d'une communication au service exclusif de la présidente. «On a l'impression de travailler davantage pour l'image de Ségolène Royal qu'en faveur des habitants de la région», lâche l'une de ses colistières. Un sentiment que partagent plusieurs journalistes locaux. D'abord emballés par le style Royal et par la multiplication des points presse, ils se sont lassés de ces annonces incessantes. Certains se sont même sentis manipulés. L'un d'eux raconte comment, en pleine controverse sur le Gaucho (l'insecticide tueur d'abeilles), invité à suivre Ségolène Royal chez un apiculteur, il a vu débarquer l'équipe technique de Sagas, l'émission people de Stéphane Bern sur TF 1: «Elle n'avait rien à dire. Nous n'étions là que pour jouer les figurants de la séquence consacrée à Mme Royal!» s'insurge-t-il encore.

Mais Ségolène ne compte pas que des déçus ou des ennemis en Poitou-Charentes. Sa popularité n'a pas faibli. Dans la rue, petits et grands se précipitent pour lui demander un autographe. Au-delà de sa garde rapprochée, nombre de ses colistiers demeurent sous le charme de cette femme séduisante, «à la forte capacité de décision», comme elle se définit elle-même lorsqu'on la titille sur son autoritarisme. «Certains vous diront que les rapports avec Ségolène sont difficiles, prévient Paul Fromonteil, vice-président (PC). Pour ma part, je lui dis souvent: "Tu es exigeante, mais tes exigences sont stimulantes."»


A l'énoncé des reproches qui lui sont adressés, la présidente veut relativiser la fronde. «Les débuts ont peut-être été compliqués pour certains, surpris par le rythme de notre travail. Il fallait vite marquer le changement de majorité, mettre en œuvre notre programme. C'est vrai, je secoue les gens, mais nous sommes responsables devant les électeurs. La région a un devoir d'impulsion. Les fonctionnaires doivent être au service des gens, pas des papiers», explique-t-elle de sa voix suave. «Aujourd'hui, nous avons trouvé une vitesse de croisière, les problèmes sont derrière nous. Chacun est à la bonne place et connaît sa mission», conclut la presque candidate à l'Elysée. Avant d'annoncer, pour illustrer sa bonne volonté, quatre nouvelles délégations de signature. Les heureux récipiendaires comptent parmi ses réputés proches.

Jusqu'à présent, seul Jean-François Fountaine, premier vice-président (PS), bénéficiait de ce privilège, pourtant assez répandu dans les collectivités territoriales. Mais les relations du vice-président de la communauté d'agglomération de La Rochelle, navigateur et patron d'un chantier naval renommé, avec la présidente ont vite mal tourné. Contacté, Fountaine n'a pas souhaité s'exprimer. Leurs conflits sont devenus quasi publics, notamment lorsque Royal a voulu supprimer la subvention au Grand Pavois, le Salon nautique rochelais. Ou lorsque le marin lui a déchiré sous le nez une délibération sur la suppression d'un organisme de formation, la mettant au défi de réunir une majorité à la commission permanente sur cette question. «Elle a reculé. Elle n'oubliera pas», augure un familier du palais. «Il aurait pu être le n° 1 de la gauche, en 2004; il espérait devenir le "n° 1 bis" et s'accommode mal de n'être que le n° 2», tente d'expliquer, un brin malicieux, Denis Leroy, autre élu rochelais (PS) et véritable porte-flingue de la présidente.

«Mme Royal est un formidable produit de marketing politique.
Son nom claque comme une marque»

Reste que les deux têtes de l'exécutif - Mme Royal n'en voit évidemment qu'une - ne communiqueraient plus que par écrit. Ambiance! Et ce ne sont pas les soudaines promotions de Catherine Quéré, Brigitte Tondusson, Jean-François Macaire et Jean Grellier, tous vice-présidents (PS), qui changeront quelque chose: les trois premiers passent pour des inconditionnels de «Super Ségolène»; le quatrième, respecté maire de Cerizay (Deux-Sèvres), se tient en dehors des soubresauts de la majorité régionale. «Ces délégations affaiblissent plus Fountaine, qui doit partager, qu'elles ne démontrent le souci de collégialité de la présidente», grince un proche de l'ancien navigateur. «Elle préfère décidément s'entourer d'admirateurs plutôt que de collaborateurs», persifle une conseillère socialiste.


Beaucoup, à droite comme à gauche, s'inquiètent par ailleurs de la confusion entre la direction générale des services et le cabinet. Le maire (PS) de Poitiers, Jacques Santrot, rappelle la règle qui prévaut dans sa ville: «La première met en œuvre les mesures votées par la majorité; le second vérifie la conformité entre la décision politique et le traitement administratif. Cela suppose une séparation claire entre les deux. La bonne marche de l'institution en dépend.» Or, depuis 2004, le DGS, Jean-Luc Fulachier (qui cumula même les deux directions durant plusieurs mois), et ses adjoints exercent un rôle éminemment politique à la tête des services. Efficacité redoublée ou dysfonctionnement?

Ségolène Royal ne cache pas que les lenteurs administratives l'agacent: «Le temps administratif doit rejoindre le temps citoyen, théorise-t-elle. Les contrôles tatillons troublent la visibilité de nos actions, les dossiers sont instruits avant le vote: pourquoi recommencer après?» poursuit-elle, faussement ingénue.

A l'en croire, la région serait donc passée du train de sénateur de l'ère Raffarin-Morin au rythme effréné de la Zapatera du Poitou. Pas si simple, car, si la présidente apprécie les méthodes commando et cède au culte de l'efficacité, il n'en reste pas moins qu'on entend sourdre, aux quatre coins de Poitou-Charentes, le trouble et l'agacement de tous ceux, corps intermédiaires ou particuliers, qui attendent la suite donnée à leurs courriers et à leurs requêtes. «Le nouveau mode d'emploi à suivre n'est pas clair. Il m'a fallu, par exemple, un an pour obtenir une réponse concernant une subvention à une association que je préside, observe Geneviève Gaillard, l'autre députée PS des Deux-Sèvres. Mes interlocuteurs habituels, agents des services et vice-présidents issus de mon département, étaient dans le bleu. Moi aussi, jusqu'à ce que la présidente m'informe que je devais en discuter avec elle... et seulement avec elle.» Un centralisme outrancier qui ralentit pour le moins l'action de la région.

«Son populisme m'effare: elle est souvent à la limite de la diffamation
et cherche sans cesse à discréditer ses adversaires»

Dès le mois de juin 2004, la fronde de certains vice-présidents amène la présidente à consulter un cabinet-conseil sur le fonctionnement de l'institution régionale. Pour un peu moins de 90 000 euros, juste la limite avant l'appel d'offres et la publicité de l'opération, César Consulting - dirigé par l'ancien ministre UDF Gérard Longuet! - a «audité» l'exécutif et ses rouages. «Ils ont fait des propositions intelligentes, certaines suivies d'effet, note Marie Legrand. Mais, un an après, le malaise est toujours perceptible dans le quotidien de l'institution régionale.»

Pourtant, au soir du 28 mars 2004, l'avenir semblait radieux pour la gauche picto-charentaise. Elue avec 55% des suffrages, Ségolène Royal veut jouer la transparence totale en lançant le slogan «Un euro dépensé = un euro utile» et en instaurant la démocratie participative. «L'argent allait à l'argent, affirme-t-elle. Il fallait en finir avec la région guichet, où les aides et les financements se renouvelaient chaque année sans contrôle.» Vœux pieux? En tout cas, des propos terriblement efficaces auprès de cette «France d'en bas» que son vieil ennemi Raffarin voulait écouter. Royal, elle, préfère lui parler, persuadée de la comprendre, quitte à flatter ses instincts les moins élevés. Volontiers moraliste, elle se fait vite procureur, dressant des réquisitoires implacables, jetant l'opprobre même, comme lorsqu'elle laisse entendre, durant la campagne, que l'équipe UMP se servirait dans la caisse et réclame sur leur gestion un audit à la cour régionale des comptes, qui lavera Elisabeth Morin et son équipe de l'infamante allusion. Sous le joli minois de la Dame du Poitou percent alors les traits d'un Robespierre en jupons.


Des économies symboliques

«Mme Royal est un formidable produit de marketing politique, assène Dominique Clément, maire (divers droite) de Saint-Benoît (Vienne) et conseiller régional. Son nom claque comme une marque.» Et cet ami de Jean-Pierre Raffarin parle en expert: lui-même est un professionnel de la communication. «La salle des trophées est pleine, celle des projets, vide!» clame-t-il dans un communiqué offensif. Il lui est plutôt pénible, comme à Elisabeth Morin, d'assister à la démolition des réalisations de l'équipe UMP: Ségolène Royal a notamment fermé la Maison Poitou-Charentes, à Paris, l'Ecole des projets et Caprilia, puis remis en question la desserte de Ryanair à Poitiers. «Un lieu de cocktails pour l'UMP dans la capitale à de rares exceptions près, des débats bidon où glosaient les copains de Raffarin, une structure déficitaire sans représentation réelle des éleveurs, un comportement de voyou qui rançonne les collectivités locales...»: les actes d'accusation sont sommaires, mais sans appel!


A peine élue, la nouvelle présidente annonce des économies... toutes symboliques: la légère diminution des indemnités des conseillers, l'interdiction signifiée aux élus d'opposition d'assister aux repas de la commission permanente et le changement du véhicule mis à sa disposition, une Vel Satis, jugée trop rutilante; elle réclame une autre voiture, plus humble. Va pour une Laguna diesel de cylindrée moyenne. Mais, la région étant liée par un contrat de location-vente portant sur la Vel Satis, cette dernière restera discrètement bâchée, de longs mois, dans le parking de la rue de l'Ancienne-Comédie. Résultat: peu d'argent public épargné, mais qu'importe, l'essentiel était dans l'annonce, le «coup», qui ravit l'électeur, toujours prompt à stigmatiser le train de vie des élus et à soupçonner les prébendes.

«Elle construit son personnage depuis longtemps, déclare Elisabeth Morin, l'ancienne présidente (UMP). Son populisme m'effare: elle est souvent à la limite de la diffamation et cherche sans cesse à discréditer ses adversaires. Ainsi, quand elle a débarqué sans prévenir, tout juste élue, à la Maison Poitou-Charentes, à Paris. Elle a eu du mal à cacher sa déception de ne pas trouver l'appartement dissimulé au milieu des bureaux qu'elle espérait. Son existence aurait bien évidemment étayé tous les fantasmes sur l'abus de biens publics auquel se serait livré l'ancien exécutif régional.» «Ces bureaux étaient très pratiques pour les rendez-vous professionnels dans la capitale, constate Geneviève Gaillard. Tous les élus et les chefs d'entreprise y étaient les bienvenus. Je n'ai pas compris la brutalité de la décision de Mme Royal.» «Même François Mitterrand appréciait d'y passer un moment», glisse Dominique Bussereau, ministre de l'Agriculture et élu dans la Charente-Maritime, comme pour mieux faire sentir l'ineptie de cette fermeture. Reste que la vente des murs devrait rapporter à la région 1,3 million d'euros: les économies sont ici bien réelles. A l'image de celles opérées sur les dépenses de communication institutionnelle (quelque 4 millions d'euros). «La région, c'est moi!» aurait-elle l'habitude de dire. Il est vrai qu'avec Ségolène, Poitou-Charentes n'a pas fini d'être à la Une…

Publié dans Et dans la presse

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